Monique

M onos, mot grec qui isole, qui dit la mer violette et le besoin essentiel de solitude
O ui, oui à plein de rêves
N on, non à plein de rêves, déchirés, dispersés, effilochés par les vents, les vents violents de la réalité
I ndépendance, farouche et viscérale indépendance
Q ui ? Quoi ? Quel sens ? Questions sans réponses
U tile comme un caillou, une vibration, comme la poésie
E t puis s’envole ...

A propos de quelques outils…

Faux
Par la faux, fraîchement coupée,
L’herbe dorée embaume le soir
Demain l’hiver

Varlope
Autour des sabots du menuisier
Moussent les boucles blondes et parfumées
Que la varlope a sculptées

Tour du potier
Sur le tour du potier
Je coule, tourne, monte et me travaille
J’étais glaise, me voici bol, demain glaise redeviendrai

Canne du verrier
Au bout d’une longue canne
Sous le souffle puissant du verrier
Une pâte informe et brûlante
Devient ballon écarlate
Future coupe de cristal transparent
Magie de l’effort commun
De l’eau, de l’air, du feu, du sable
Et d’un artiste …

Le couteau à désoperculer
Le couteau à désoperculer
Glisse lentement le long du cadre parfumé
Première goutte de miel sur mon doigt.

Ciseau
Plus m’émeut cette jambe de l’Esclave
Pas encore complètement dégagée du bloc de pierre
Par le ciseau de Michel Ange
Qu’une sculpture achevée.
Pourquoi ?

Pinceau
Encore un coup de pinceau
Le sable s’envole
L’œil d’Isis apparaît
Des années de travail récompensées.

La lime
Bien manipulée par le compagnon,
La lime produit un son doux
Hou, hou, hou
Rac, rac, grince la lime de l’apprenti
Qui bousille la pièce.

Le peigne à myrtilles
Le peigne à myrtilles a pris des couleurs violettes
Les joues de ma petite fille aussi
Toute la maison embaume.

Et quelques notations …

Ce matin l’oiseau
A volé vers l’horizon.
Plus n’est revenu.

Plaisir délicat
Des pieds nus sur la rosée
Dans le frais matin

Bonheur de sentir
Au coeur de mon désespoir
La chaleur d’une main

Au bout de la branche
Noire, sous la neige glacée,
Vivant, un bourgeon.

Une feuille jaunie
Au sommet du chêne vert
Fêlure d’été

Au loin, sur la mer
Nos rêves au mât accrochés
S’effilochent aux vents

Solitude blanche
Sable brûlant et glacé
Méditation

De ses doigts petits
L’enfant voudrait attraper
Trois gouttes de rosée.

Que n’ai-je un pinceau
Qui puisse peindre les fleurs du jasmin
Avec leur parfum

Dehors, brume et pluie
Le Soleil saute à la corde
Dessin de Fanny

Forêt en hiver
Sous la feuille qui pourrit
Tout un monde grouille

Rouges, jaunes, orangés
Transpercent la brume froide
Sons cuivrés d’automne

Dans mon jardin
La mousse bleue des myosotis
Printemps

Sommets blancs
Suspendus dans l’air vif et bleu
A travers le vert foncé des sapins

Après la pluie
La feuille qui s’égoutte
Désaltère ma gorge
Et mon esprit

Scintillement de poussières dorées
En suspension dans un rai de lumière
Bourdonnement familier des abeilles
Chaleur tranquille d’un après midi d’été
Vacances en Provence

Bonjour l’hiver !

Au bout de la branche noire du platane
La dernière feuille dorée,
Longtemps tremble et s’accroche
Enfin, se détache,
Plane haut dans le ciel,
Tourbillonne,
Est rabattue sur le sol,
A nouveau s’envole,
Retombe,
Trébuche,
Et, dans un dernier effort,
Glisse,
Enfin, disparaît.
Sous la haie humide et sombre

Au bord de la mer

Lumière légère et pâle du matin
Odeur d’iode, mer étale et transparente
Le sable respire, paisible
Dans l’imperceptible chuchotis du rythme des vagues…
Silence et beauté.


Mer violette
Qui se détache, nette,
Sur un ciel bleu clair.
Dans un camaïeu de gris et de bleus pâles
Derrière un léger voile de fumée
Se découpent mollement les collines :
Aquarelle chinoise.

La mer agite doucement l’or et l’argent
Du soleil couchant,
Et sur le sable
Les jette en généreuses brassées :
Pétillement de gris, de rouges, de bleus, d’argent et d’or mélangés
A l’instant disparus,
Noyés,
Dans un nouveau fourmillement
De lumières mousseuses.

Lever du soleil au sommet de l’Etna

Je me souviens …
D’un moment,
Moment de pur bonheur.
Je me souviens,
Transparence de l’air,
Silence et beauté des sommets enneigés,
Montagnes qui se dessinent
Peu à peu,
A l’horizon
Dans une délicate lumière dorée.
Je me souviens,
Voix claires de jeunes filles
S’élevant à l’unisson
Pour célébrer le lever du soleil
Au sommet de l’Etna.

Années cinquante

Je me souviens …
D’une jupe longue en Vichy vert léger
Et d’alertes petites ballerines ;
Je me souviens,
Des voix chaudes des Platters
Des odeurs mêlées du whisky et des cigarettes
Du bruit des vagues …
Toute une vie devant soi …

Et d’autres souvenirs…

Je me souviens …
Au tournant de la route
Une énorme montagne noire
Me saute au visage.
Je ferme les yeux
Terrifiée !

Je me souviens …
Laurent joue la Révolutionnaire
Sous les doigts de mon fils
Violentes, les notes jaillissent
Frappent les murs
Font vibrer l’air
Et fuient en désordre
Par la porte,
Par les fenêtres, Par tous les pores de ma peau…
Couchée sous le piano noir,
J’éructe ma colère.

Grand canyon

« Joie, joie, pleurs de joie ... »

Bruits métalliques des appareils photo que l’on cale sur les rochers,
Bribes de phrases aux accents variés, anglais, chinois, espagnol et d’autres inconnus
Cris d’oiseaux
Fraîcheur sur ma peau, frisson.
Attente.
Le regard plonge dans les profondeurs sombres et vertigineuses, remonte sur la falaise ocre toute proche, puis vole de sommet en sommet, hypnotisé, perd ses repères ; l’infini l’engloutit.
Attente émue.
Insensiblement,
Le soleil décroît,
Insensiblement ocres, rouges, verts, mauves, jaunes de toutes les roches se réchauffent,
S’exaltent.
Il flotte de la lumière et des couleurs partout, dans le ciel, sur les sommets, sur les falaises, dans l’air, partout, à l’infini.
Insoutenable beauté.
Silence.
Les oiseaux se sont tus, le vent ne souffle plus, les hommes muets, s’emplissent, immobiles, de toute cette beauté.
Silence mystique ...
Des larmes coulent.
Lumière qui n’est pas simplement cadeau du soleil qui se couche.
Lumière d’un autre ordre.
Elle irradie de l’intérieur.
Elle m’irradie.

« Joie, joie, joie. Pleurs de joie »

Le trésor

Toute la matinée, dans le bruit du vent et des vagues, la petite fille émerveillée avait soigneusement choisi et ramassé les petits cailloux aux couleurs vives qui brillaient au soleil sur le sable gris en lisière de l’océan. Elle en avait empli son petit sac.
Ce soir, alors que tout le monde dort, elle se lève, allume. Impatiente de contempler son trésor, elle vide son sac sur le drap blanc. Hélas ! Les couleurs sont ternies, les petits cailloux sont éteints, morts d’avoir été cueillis.

A propos de la terre

Terre, terre nourricière, terre rouge de Provence,
Toute parfumée de thym et de romarin,
Terre brûlante qu’aiment l’olivier d’argent,
L’amandier, le pêcher et la vigne sanglante,
Terre où plongent, vives, les racines de mon enfance,
Je t’aime

Terre brune, terre riche de la douce Touraine,
D’artistes habiles, tu as su guider la main,
Qui, dans les parcs des châteaux ont créé des tableaux,
Avec des choux rouges, des poireaux, des artichauts,
Pour que s’offrent au promeneur, en toute simplicité,
Des nourritures terrestres aux spirituelles mêlées.


Terre, Gaïa surgie du Chaos,
Tendrement
Ouranos, d’une pluie fertile te rafraîchit
Et tu devins
Mère des eaux, du vent, de l’espace et du temps
Et tu devins
Mère des dieux, des hommes et des bêtes bondissantes.
Et tu devins
Terre, terre, de toutes choses l’origine et la fin.
Notre prison,
Tu es,
Notre royaume.

Art

Vivre sans argent,
C’est possible
Sans habits
Possible aussi
Sans amis,
Difficile, mais possible
Mais
Sans œuvres d’art
Musique, poésie, peinture
Théâtre, Danse, sculpture, architecture
Impossible !

Pour l’animal humain
Dans son corps fini,
Infini, par l’esprit.
Comme l’eau
L’art, indispensable
A sa vie.


Quand je contemple
L’Annonce faite à Marie
De Philippo Lippi
La Flore
Du Printemps de Botticelli
Le Clown
De Rouault

Quand j‘admire
Le Saint Jean Baptiste
De Donatello
L’Aurige
De Delphes
Le sourire d’un ange
De la Cathédrale de Reims


Quand je me promène
Au milieu des ruines
De la Cathédrale de San Andrew
Aux vitraux de nuages
Quand j’aperçois
L’adorable Chapelle des Vernettes
Sise au sommet de la montagne
Quand se dressent devant moi
Illuminées par le soleil
Les colonnes du Temple d’Apollon
Blanches, dominant la mer violette

Quand j’écoute
L’Art de la Fugue
De Bach
Le Dies Irae
Du Requiem de Mozart
Les chants grégoriens
Du Chœur des Moines
A l’Abbaye de Solesmes

Quand je me répète à moi-même
Ces beaux vers de Valéry
« Ce toit tranquille, où marchent des colombes
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
[…]
Le vent se lève !...Il faut tenter de vivre
[…]
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient les focs ! »

Quand je vibre
Au rythme effréné
Du Ballet du XXe siècle
Dans le Sacre du Printemps
De Stravinsky
Quand je me laisse envoûter
Par Jorge Down
Dansant le Boléro de Ravel
Par le pas de Quatre
Du Lac des Cygnes
A l’Opéra Garnier

Quand je me noie
Dans le bleu profond
Des vitraux
De la Cathédrale de Chartres
Soulevée par la grande houle des orgues
Jouant une fugue de Bach

Quand, entre les nuages,
Au sommet d’un col,
Apparaît brusquement
Le miroitement bleu glacé
D’un glacier
Scintillant au soleil
Qui me fascine

J’ai la délicieuse, fugitive et déchirante intuition
D’une furtive communion
Avec la partie invisible
Essentielle
Du monde
Celle qui fait sens.
Et chantent dans ma tête
Ces paroles qui ouvrent la Genèse
« La terre était tohu-et-bohu,
Une ténèbre sur les faces de l’abîme
Mais le souffle d’Elohîm planait sur les faces des eaux »

Pour moi, animal humain
Dans mon corps fini,
Infini par l’esprit,
Comme l’eau
L’art, indispensable
A ma vie.

L’esprit

O toi qui n’es pas visible
Que ma main ne peut saisir
Ni ma bouche, ni mon nez
Goûter
Tu es pourtant
De mon angoisse métaphysique
L‘unique cause.

Démon, éon,
Elfe, farfadet
Esprit follet
Lutin, troll
Ondine, houri
Sylphide
Fée, bonne ou mauvaise
Invisible et présent
Je te sens partout
Dans tout ce qui vit.
Dans les enfants, surtout
Et quelques adultes aussi.
Que tu aimes garder
Dans leur infini simplicité.
Je crois te reconnaître,
Et je t’aime
Dans mon santon préféré :
Le Ravi de la Crèche
Heureux les simples d’esprit …

Ai-je raison de croire
Que tu aimes particulièrement
Certains êtres fragiles
Que l’on enferme
Dans des pièces,
Angoissantes de vide et de blancheur
Toute ouatées d’un silence opaque ?
A ceux-là, je crois que tu envoies
Parfois
De lumineux signaux
Et les autres autour
Engoncés dans leur lourd bon sens quotidien
S’étonnent…,
Et s’éloignent…,
Pris de peur.

Tu as habité
Van Gogh, Camille Claudel,
Toulouse Lautrec,
Bach, Chopin
De nombreux compagnons du Tour de France
Noureev, Nerval,
Le jeune et lumineux Rimbaud …
Vinci
Et leur génie
Nous a fait grandir.

Tu es l’interrogation
Tu es l’origine et la fin
Tu es l’alpha et l’oméga,
L’ultime interrogation sur le sens de ma vie.

Le temps

« J’ai mal à mon temps », dit le Poète
Evidemment !
O Temps
Insaisissable, tu es,
Ou plutôt, tu passes.
Et tu passes toujours mal :
Ou, trop vite
Ou, trop lentement.
Tu joues,
Tu te joues de nous
Tu es un grand méchant,
Le Temps !

Insatisfaction, nerveuse attente
Toujours tu les distilles savamment.
Tu joues !
Charlatan qui fais naître les rêves.
Le temps mis par la coupe pour s’approcher des lèvres
Fait espérer, divine, la liqueur.
Menteur !

O Temps,
Tu découpes la réalité en morceaux
Si nombreux, si petits
Que moi, mon puzzle, jamais ne pourrai le finir.
O Temps, mon grand Séparateur
Entre moi-même et le monde
Entre moi-même et moi !
Fœtus, petite fille, jeune et belle femme, vieille poupée ridée, jaunie, racornie
Qui suis-je ? Des jouets du temps ? Des illusions ?
A cause de toi, le Temps,
Ma quête est sans fin.
Tu m’ennuies.

Comment ?
Qu’est-ce que tu dis ?
Pas d’avant ?
Pas d’après ?
Quoi ?
L’éternité ?!

O Temps ! Quel ennui !

Allez ! le Temps !
Emmène-moi !

Que l’éphémère parfum d’une rose dans mon jardin
Les rouges et les ors embrasant
Lentement les rochers du Grand Canyon,
Eclatant, explosant
Tout à coup,
En un spectacle d’un instant d’insoutenable beauté,
Que la dernière note de l’Art de la Fugue
Demeurant suspendue dans le chœur de la Cathédrale,
Fassent encore vibrer mon esprit
Et emplissent mon coeur de larmes.

Allez ! le Temps !
Je t’accepte
Il faut bien que je t’accepte
Car, après tout,
Ma vie
C’est bien à toi
Que je la dois !
Le Temps !

Allez ! le Temps !
Emmène-moi !...

Avant l’Ecole

« Picolette, Picolette, déjà réveillée ?
Déjà en train de dessiner sur l’oreiller ?
Ah ! Non ! Ce ne sont pas des pastels que je vois ?
Tu en répands partout ! des pastels, dans le lit
Je n’en veux plus du tout. Je te l’ai dit cent fois. »

Mais, Maman, pour le ciel quand le soleil se couche
Le bleu, le jaune, le rouge se déposent par touches.
Puis, moi, d’un doigt léger, je les mélange toutes.
Après, tu dis : « Ma Picolette, tu m’envoûtes. »

Regarde, Maman ! dit Picolette triomphante.
Et, le dessin, brusquement enlevé, répand
Une belle pluie colorée sur les draps blancs…
Maman furieuse, Maman conquise, Maman riant.

Une lessive de plus n’est pas cher payer
Le bonheur d’avoir une artiste à ses côtés
Sans retenue aucune, il faut en profiter
Car l’artiste est fragile, il la faut protéger.

Après l’Ecole

Picolette, Picolette, pas encore réveillée ?
Allez ! allez ! debout ! viens vite déjeuner !
Mon dessin ? Y as-tu déjà un peu pensé ?
Non, Maman ! Je ne sais plus du tout dessiner !

Que dis-tu ? Tu ne sais plus du tout dessiner ?
La boîte de pastels que je t’ai achetée
Avec les couleurs que tu m’avais demandées
Tu sais, j’ai dû la chercher. L’as-tu regardée ?

Non, Maman ! Je ne sais plus du tout dessiner !
Ma boîte de pastels, tu peux la ramener
Ou bien, à la maîtresse, tu peux la donner.
Moi, Maman, je ne sais pas du tout dessiner !

Picolette pleure. Se brouillent les yeux de Maman.
Mon histoire, ma fille, c’est toi qui dois l’illustrer !
Je voudrais bien. Mais la maîtresse a dit, Maman
Que, dans ma classe, personne ne savait dessiner…

Colère de Maman. Ah ! Cette maîtresse, si …
Picolette, ma chérie, fais-moi plaisir :
Ce soir, dans ton lit, bien au chaud, sors tes pastels
Et dessine-moi une jolie bro-ca-telle

Mais, Maman, une jolie brocatelle, c’est quoi ?
Je ne sais pas. A toi d’inventer ce que c’est.
De l’imaginer, et puis de le dessiner
A moi aussi de le raconter, comme toi.

Je te dirai ce que j’aurai imaginé.
Tu me montreras ce que tu auras dessiné
Et on s’amusera de nos inventions
Papa se demandera pourquoi nous rirons.

Mais, Maman, la maîtresse a dit …
Chut !hé bien ! Oublie ce que la maîtresse a dit
Prends ton papier, tes pastels, ma grande chérie
Je prends mon papier et mon crayon, et voyons
Qui de nous deux fera la plus belle invention

Epilogue
Mais, Maman !...
Chut !
Bro-ca-telle, bro-ca-telle …c’est quoi ?
Ah ! J’ai une idée …
Et toi ?
Moi aussi ! Ça flamboie !

La pierre

Pierre brute ou sculptée
Lourde de pouvoirs et de symboles
Pierre, tu es multiple

Galet, ramassé sur la plage,
Caillou trouvé sur le sentier qui monte,
Pierre ajouté au cairn
Pour laisser une trace,
Pour dire la direction,
Pierre, tu marques mon chemin.

Pierre reçue en cadeau précieux
De la main d’une toute petite fille,
Pierre vivante et tiède,
Au fond du sac, tous les jours, caressée,
Et tout un paysage surgit
Un souvenir, un visage,
Un geste,
Un instant d’éternité.

Pierre, ma confidente
Chut ! Fais silence à jamais sur cette histoire
Ce mauvais rêve que j’ai fait
Et que je t’ai conté
Pierre, garde le bien enfermé,
Loin, bien loin, hors de ma tête,
Dans le sombre Léthé, au plus profond de la Terre.
Et je serai guérie.

Fossile aux somptueuses couleurs
Rouge alizarine, violine, bleu laiteux
Emeraude, ocre,
Fossile veiné de noir d’ivoire
Des arbres tu dis l’histoire
Et des bêtes
Conservés, magnifiés,
Par, des eaux, la lente et longue coulée.

Tablette d’argile délicatement gravée,
D’une mystérieuse écriture cunéiforme,
Ostrakon peint ou gravé
Reste d’un simple pense-bête
Ou d’un vote,
Et peut-être ce tesson
Qu’aujourd’hui, dans ma main distraite, je tiens
A sauvé de la mort le prisonnier jugé …

Pierre de Rosette
Aux trois textes si précieux,
Tu as donné la clef des hiéroglyphes,
Et la civilisation de l’Egypte
Pour nous, s’est éclairée …
Ardoise des écoles
Tu as appris à lire, écrire et compter
A tant de petits enfants …
Pierre, tu es l’indispensable
Tu témoignes de l’histoire des hommes.

Lave noire du volcan
Tu dis de la terre, l’histoire
Cristal arraché à la montagne,
Rubis, saphir, jade,
De la terre, richesse et beauté.
Météorite,
Poussière d’étoile
Tombée sur la terre,
De l’univers, tu dis l’histoire.

Pierre, pierre sacrée, pierre dressée, pierre noire,
Omphalos, menhir, palladium ou Ka’ba
De la part des hommes, la ferveur tu reçois.
Leurs prières, nombreuses, ne les entends-tu pas ?

Femme en mal d’enfant,
Célibataire en mal d’amis,
Paysan assoiffé de pluie,
Roi, inquiet de son avenir,
Peuple, inquiet de son avenir,
Bandit repenti, fatigué,
Leurs prières, nombreuses, ne les entends-tu pas ?

Pierre de sagesse d’où jaillit la source
Qui désaltère les gorges et les esprits desséchés
Tables sur lesquelles se sont gravées
Sous le souffle puissant du dieu,
Du peuple de Moïse, les lois sacrées.
Pierre, tu es sacrée.

Pierre sacrée
Pierre de l’autel
Tu attends le sacrifice

Silex cruel des Mayas
Qui, dans la poitrine du prisonnier, fouilles
Pour que soit offert au dieu du Soleil
Encore palpitant,
Son cœur,
Et que se régénère
Et demain, se lève,
Encore plus brillant,
Le soleil.

Pierre vivante,
Tu dis l’origine de nos ancêtres
Pierres lancées,
Femmes, par-dessus de Pyrrha, l’épaule
Hommes, par-dessus de Deucalion, l’épaule
Pierre, tu dis mon origine.

Rocher cruel de Sisyphe,
Tu dis, du monde l’absurdité,
Dans la tâche toujours recommencée,
Toujours inachevée.
Vaine.

Pierre, brute ou sculptée,
Lourde de pouvoirs et de symboles,
Pierre, tu es multiple !
Tout à la fois, mon passé et mon avenir.
Tu es mes os, tu es mes cendres.
Tu es la pierre,
La pierre de touche de mes pensées.

Correspondances

Ecrire, quelle étrange aventure de sentir peu à peu ma solitude s’enfler généreusement comme un ventre de femme, de rencontrer des personnages inattendus qui m’imposent sans ménagement leur présence importune, ou me séduisent et disparaissent sans crier gare sous ma plume, à mon grand regret. Quelle cacophonie de couleurs, de parfums et de sons avant que chante la note juste. Quel rude travail, quelle plongée dans les profondeurs obscures et mouvantes de mon âme, avant la délivrance.

L’âme, un rien, un souffle, même un insignifiant morceau de bois bien caché au creux du violon : il est là, à l’exacte place où le luthier l’a posé, pour que soit maintenu l’exact espacement entre la table et le fond de l’instrument, pour que vibre et résonne le son, en parfaite harmonie avec l’âme de l’artiste, avec notre âme, petite étincelle divine bien cachée en chacun de nous et qui nous fait rayonner.

Eclairs, pluie, bourrasques : un genou dans la boue, ses cheveux rouges, hirsutes sur sa tête, le regard vert et fiévreux, Van Gogh cherche vainement à saisir de son pinceau les puissants troncs noueux des chênes ; alors, il prend le tube de peinture et l’écrase sur sa toile qui vibre dans le vent, et les troncs violets tout à coup, sont là, vivants dans le tableau, tandis qu’au sommet des arbres, tourne affolée, une lune jaune cerclée de blanc.

Ecrire, frotter l’archet sur la corde, peindre, c’est chercher les mots, les sons, les couleurs qui vibrent juste pour que, par delà l’espace, par delà le temps, entre en résonance l’âme cachée du monde.