Le temps

« J’ai mal à mon temps », dit le Poète
Evidemment !
O Temps
Insaisissable, tu es,
Ou plutôt, tu passes.
Et tu passes toujours mal :
Ou, trop vite
Ou, trop lentement.
Tu joues,
Tu te joues de nous
Tu es un grand méchant,
Le Temps !

Insatisfaction, nerveuse attente
Toujours tu les distilles savamment.
Tu joues !
Charlatan qui fais naître les rêves.
Le temps mis par la coupe pour s’approcher des lèvres
Fait espérer, divine, la liqueur.
Menteur !

O Temps,
Tu découpes la réalité en morceaux
Si nombreux, si petits
Que moi, mon puzzle, jamais ne pourrai le finir.
O Temps, mon grand Séparateur
Entre moi-même et le monde
Entre moi-même et moi !
Fœtus, petite fille, jeune et belle femme, vieille poupée ridée, jaunie, racornie
Qui suis-je ? Des jouets du temps ? Des illusions ?
A cause de toi, le Temps,
Ma quête est sans fin.
Tu m’ennuies.

Comment ?
Qu’est-ce que tu dis ?
Pas d’avant ?
Pas d’après ?
Quoi ?
L’éternité ?!

O Temps ! Quel ennui !

Allez ! le Temps !
Emmène-moi !

Que l’éphémère parfum d’une rose dans mon jardin
Les rouges et les ors embrasant
Lentement les rochers du Grand Canyon,
Eclatant, explosant
Tout à coup,
En un spectacle d’un instant d’insoutenable beauté,
Que la dernière note de l’Art de la Fugue
Demeurant suspendue dans le chœur de la Cathédrale,
Fassent encore vibrer mon esprit
Et emplissent mon coeur de larmes.

Allez ! le Temps !
Je t’accepte
Il faut bien que je t’accepte
Car, après tout,
Ma vie
C’est bien à toi
Que je la dois !
Le Temps !

Allez ! le Temps !
Emmène-moi !...